Né en 1955 à Kaolack
(Sénégal), d’origine
sarakole.
Ibrahima Kébé est
avant tout un peintre.
A une époque où les
artistes ont abandonné le
représentatif, le banalement
quotidien, Kébé peint
la vie, des scènes simples
de la médina de Dakar, des
instants fugitifs.
Mais ce qui frappe
d'abord, c'est la palette picturale
de Kébé.
Les couleurs sont choisies de la
manière la plus spontanée.
Les larges aplats vifs des personnages
se découpent sur des fonds
travaillés, pastels, imbibés
d'eau, de retenues. Sur ces fonds
les couleurs des personnages vont à l'essentiel
: on est plus dans la subtilité du
décor, mais dans l'essence
des êtres qui s'expriment
avec force et beauté. La
couleur éveille le sentiment
; vibrante, elle donne âme
aux attitudes, aux regards. Aucune
distraction inutile n'est permise.
L'essentiel est dit vite et bien.
Cette expression, l'artiste la
maîtrise à la perfection
lui conférant un style bien
personnel comme les couleurs de
Gauguin et d'un Matisse donnent
aux peintures une unité aisément
identifiable.
L'évolution de l'œuvre
se fait donc ailleurs. Chez Kébé l'essentiel
est le sujet et son traitement.
Il y a quelques années,
il saisissait les sortilèges
de la vie, ses anormalités,
ses monstruosités. Il peignait
des mendiants, des handicapés,
des fous, un rien dans la toile
laissait entrevoir le porte-à-faux
du sujet. La tête penchée
indiquait que l'être fuyait
en dedans en un soi inquiétant.
Plus tard le " normal " a
repris le dessus. Mais ces nouveaux
portraits, bien que plus tranquilles,
re-introduisent très vite
le trouble quand on s'aperçoit
l'incommunicabilité profonde
de ces êtres. Les regards
fuient, quittent la toile. Même
ces amoureux du banc public donnent
l'impression de se séparer
avant même de s'être
trouvés. Les groupes s'écartent.
Les regards s'évitent.
L'artiste peint
une société tendue à l'extrême
où se cachent des secrets
plus ou moins avouables, plus ou
moins retenus. Symbole ultime,
le chat animal farouche et indépendant,
apparaît sur de nombreuses
toiles, confirmant le secret, confirmant
la difficulté d'être
au quotidien. L'artiste est et
a toujours été sincère.
Sa peinture traduit ses inquiétudes
et ses humeurs. Peintre de la société,
il interfère sur elle projetant
ses doutes et ses craintes, recherchant
derrière l'anonymat des
modèles des exemples à porter
loin l'image de son propre devenir.
Kébé se cache et
peint. Au fil des expositions,
il nous enseigne à voir
ce qui ne se voit pas à regarder
derrière la chaleur des
couleurs, à percevoir le
froid derrière les bleus,
jaunes, ocres et rouges éclatants, à sentir
la solitude dans la foule, le temps
qui passe au rythme du chat et
le grand cri universel d'être
homme, humain parmi les humains.
Humain, seulement humain.
Daniel Sotiaux
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