Chambres maliennes
Photographies de Mohamed Camara
(Mali)
La
photographie malienne doit
son premier succès aux portraitistes
de studio Seydou Keita et Malick
Sidibé. Cette génération
des "studiotistes" (ou
des "anciens") a laissé la
place à une génération
de photographes nés dans
les années 1950/1960,
formés par la pratique
du reportage : Alioune Bâ,
Amadou Traoré, Mamadou
Konaté, Youssouf Sogodogo,
Emmanuel Daou. Tous sont attachés à l'idée
de "développer la
photographie malienne" en
produisant des images qui combleraient
le retard pris par l'Afrique
en matière de création.
Mohamed Camara, né en
1983, est d'une toute autre génération.
Son rapport à la photographie
n'est pas lié à une
situation professionnelle : passionné de
football, il se consacre à l'entraînement
et joue pour une équipe
de Bamako. Il a entrepris en
2001 de photographier, sans contingence
extérieure, le monde des
jeunes Bamakois vu par le prisme
de leur espace privé :
la chambre. Il existe au Mali
une esthétique du vide,
une absence totale d'intérêt
pour la décoration, qui
n'est pas une esthétique
de la misère : chez les
riches l'intérieur des
maisons n'est pas plus décoré que
chez les pauvres, dans les maisons
bourgeoises comme dans les cases
des villages les murs sont presque
nus. Les citadins les recouvrent
de peinture blanche ou de ce
bleu particulier au Sahel, les
pauvres font parfois une tentative
de décoration : une ligne
tracée maladroitement
sur le banco de leur case, dont
la peinture a dégouliné en
plusieurs endroits. Plus qu'une
décoration, cela ressemble à l'idée
d'avoir essayé une fantaisie
qui finalement ne préoccupe
pas les Maliens. Cette absence
de préoccupation sous-tend
l'esthétique : pièces
vides, espace ouvert aux courants
d'air, voiles ou rideaux de couleurs,
souvent brodés, qui vont
et viennent en effleurant le
bas des portes. Cette esthétique,
cette gestion de l'espace (quand
on va vers le nord les gros canapés
sombres et inconfortables de
Bamako laissent la place à des
tapis, épousant le sol
des pièces alors parfaitement
vides), cette gestion de la lumière
(tamisée, colorée
par les rideaux, ou le soir celle
des néons en ville recouverts
de badigeon bleu, rouge ou vert,
qui éclairent l'intérieur
des boutiques), ces éléments
ne trouvent pas d'échos
dans les réalisations
des "artistes maliens contemporains".
En jouant avec les éléments
de la chambre malienne, Mohamed
Camara, dans sa description de
l'espace intime d'une génération,
définit l'expression d'une
esthétique de la lumière
et de la couleur par la voie
d'un médium débarrassé de
son complexe vis-à-vis
de la photographie occidentale.
Photographier la chambre, c'est
libérer son pouvoir d'évocation
de l'extérieur : on sent
la famille qui l'entoure (dans
le contexte économique
malien l'indépendance
des jeunes est très tardive),
et la torpeur d'un climat extrêmement
chaud, une lumière crue
qui brûle tout à l'extérieur.
C'est peut-être cela que
les photographies de Mohamed
Camara tendent à prouver
: l'intimité au Mali n'est
pas définie par un espace
sonore comme en Europe, par des
vitres ou par une porte verrouillée
; en l'absence de fermetures étanches,
c'est la lumière qui dicte
l'espace public et l'espace privé avec,
entre les deux, un rideau qui
va et vient comme une respiration,
comme un échange discret
d'un espace à l'autre.
On relève le rideau :
la chambre est ouverte à la
cour familiale, elle cesse d'être
un lieu d'intimité et
s'inscrit momentanément
comme une extension de l'espace
social.
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