Témoigner
pour la liberté de s’exprimer
Contrastée. Quand on rencontre
Louisa Ammi-Sid, on ne peut s’empêcher
de penser à un cliché en
noir et blanc. Un cliché semblable à ses
photos. Directes, parfois violentes,
mais toujours extrêmement
sensibles. Justes. Petite, menue,
en jean, basket et bonnet, Louisa
est avant tout un concentré d’énergie.
Prête à bondir pour
arracher un instantané,
mais aussi fragile, désemparée
face à la violence.
Une énergie qu’elle
déploie tous les jours quand
il s’agit de s’imposer
sur le terrain face à ses
confrères masculins. Une
force qui lui permet aussi de continuer,
malgré la trouille, malgré les
risques du métier.
S’imposer, foncer, défier.
Ces mots reviennent et rythment
le discours de la jeune femme.
Ils dessinent la trame de son parcours.
S’imposer pour devenir photographe
de presse, défier quotidiennement
les autorités, les codes
de la société musulmane
pour réussir à travailler
et couvrir l’actualité.
La vie de Louisa Ammi-Sid ressemble à un
grand combat. "Je me suis
imposée à ma manière,
dans ma famille, dans la société et
dans mon milieu professionnel",
raconte la jeune journaliste, "parce
que dans ma famille on ne voulait
pas que je fasse ce métier,
et parce que dans le milieu des
hommes on dérange".
Louisa est donc une des premières
femmes à exercer ce métier
dans les années 90 : "A
l’époque nous n’étions
pas nombreuses et ça n’était
pas facile. Par exemple quand il
y a un enterrement après
un massacre collectif, la religion
interdit aux femmes d’ entrer
dans un cimetière. Maintenant
la profession s’est féminisé beaucoup
plus (…) ça me donne
du courage."
" Les conditions de travail sur le
terrain"
"Le métier des journalistes : le devoir de témoigner."
Louisa
en quelques dates :
1993/94 : Premier contrat en tant
que photographe au Quotidien d'Algérie
1994/97 : Après la suspension
du Quotidien d'Algérie pour
raisons financières, Louisa
est engagée à la
Tribune
1998 : Louisa intègre l'équipe
du journal Liberté
1998 : Participation au festival
de photojournalisme "Visa
pour l'image" à Perpignan
Rester en Algérie malgré tout.
Pour la jeune femme,
tout a commencé dans "les
années noires", celles
des massacres et de la violence
terroriste. "Quand j’ai
commencé, je voulais faire
de la photo artistique (…)
Finalement je me suis retrouvée
dans le bain malgré moi.
Et j’ai continué jusqu’à maintenant",
résume Louisa en souriant
sur l’ironie du sort. Elle
raconte sa peur d’alors,
quand il s’agissait d’aller
sur le terrain et d’affronter
la mort et les attentats. Elle
raconte aussi le déclic,
quand son frère lui a proposé de
quitter l’Algérie,
comme la plus grande partie de
sa famille, afin qu’elle
soit plus en sécurité et
qu’elle puisse exercer sa
profession plus facilement. "Là,
j’ai dit non. Je veux rester ",
s’exclame Louisa sur un ton
qui laisse aujourd’hui, encore,
transparaître la volonté et
la conviction. "Il fallait
s’imposer, foncer, défier,
mais on a arraché notre
manière de travailler."
Aujourd’hui, Louisa a 31
ans. Depuis près de 10 ans,
elle est tous les jours sur le
terrain et raconte l’actualité algérienne
en instantanés. D’abord
pour le Quotidien d’Algérie,
puis pour La Tribune et enfin,
pour le journal Liberté depuis
1998.
"Les années noires
c’est du passé"
La photographe
raconte aussi les conditions
de travail difficiles
de ces années-là. "C’était
les islamistes, les interdictions
des autorités, les autorisations
; c’était difficile
de s’approcher de la population
et de faire un travail de proximité." Logements
sécuritaires, difficultés
d’accès à l’information,
de circulation. Exercer le métier
de journaliste en Algérie
reste compliqué au quotidien.
Mais plus fort que tout, on sent
chez Louisa le désir de
tourner la page. Celui d’aller
de l’avant. "Les années
noires c’est du passé, ça
remonte à longtemps, témoigne
la jeune femme. C’est du
passé que je laisse dans
ma boîte noire et que je
ressortirai un jour pour le raconter à mes
enfants ". Aujourd’hui,
il y a moins de massacres "c’est
plus comme avant" insiste
la journaliste, "J’arrive à faire
des photos de la vie quotidienne
des Algériens. Avant les
images que voyait la presse étrangère,
c’était uniquement
des photos macabres. Maintenant
on dit : voilà ce sont les
photos qu’on a faites, ça
y est, c’est fini, et maintenant
voilà l’Algérie
d’aujourd’hui."
Témoigner
Manifestations,
massacres, mais aussi scènes de rue, portraits
d’enfants, défilés
de mode, les photos de Louisa reflètent
cette variété de
l’Algérie. Et si les
femmes et la jeunesse sont régulièrement
immortalisées par l’objectif
de la photographe, la jeune femme
se défend de toute démarche
militante. Ce qu’elle veut,
c’est témoigner. "Je
montre des femmes parce que c’est
elles que l’on voit après
les massacres, ce sont elles qui
enterrent les morts, c’est
l’actualité qui se
reflète dans leur visage." Et
elle poursuit, "c’est
mon pays, je dois témoigner.
C’est pour la liberté d’expression
et la condition féminine.
(…) On a passé un
moment difficile, mais aujourd’hui
je suis contente parce qu’on
a marqué l’Histoire.
On a laissé des traces,
on a laissé des documents
et on ne peut pas falsifier cela. "
Léa-Lisa Westerhoff
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