Cette exposition
met en perspective la multiplicité des regards
que l’Europe a portés sur les
cultures d’Afrique, d’Amérique
et d’Océanie, découvertes
par voie de mer essentiellement, de la Renaissance à nos
jours.
Véritable manifeste pour le nouveau
musée, elle pose la question de l’altérité à travers
un exceptionnel ensemble d’objets. Idoles,
bibelots exotiques, fétiches, sculptures
primitives tracent la diversité de ces
approches qui amorcent une histoire de la culture
occidentale dans son rapport à l’Autre,
perçu tantôt comme l’être
originel, pur et innocent, tantôt comme
le sauvage ou le cannibale aux instincts sanguinaires.
Des pièces européennes sont
ainsi également montrées afin
de mieux faire comprendre le contexte dans
lequel les œuvres d’autres cultures
ont pu être accueillies.
Cette promenade dans le temps
et l’espace
invite à suivre l’évolution
et les errances du goût, entre l'émerveillement
et l'effroi, la curiosité et le fantasme,
le mépris et la reconnaissance.
* Le Parcours de l’exposition
L’exposition s’articule autour
de grandes thématiques qui se déclinent à partir
d’un certain nombre de repères
chronologiques. On y retrouve des constantes
: la présence récurrente d’un
certain type d’objets (les armes notamment),
de certaines images (le sauvage, l’Eden)
et la permanence d’une réflexion
toujours renouvelée sur l’homme
et l’univers.
1. Théâtre du
monde
Ce premier tableau de l’histoire des
regards débute à la Renaissance
dès la fin du XVe siècle avec
les premières conquêtes des « terra
incognita », notamment les côtes
de l’Afrique et l’Amérique
précolombienne, et se termine vers 1760
au moment où se précise l’étude
de la cartographie et du corps anatomique.
La connaissance du dehors et du dedans se font
alors écho dans une même volonté encyclopédique.
Les cabinets de curiosité ou « chambres
des merveilles » font aussi leur apparition
avec pour objectif de rassembler en un microcosme
le macrocosme de l’univers, l’ensemble
des savoirs, les technologies nouvelles.
Ainsi, toutes sortes d’objets hétéroclites
(ce qui a trait aux parures et aux vêtements,
les matières rares et précieuses,
les coquillages, les insectes, les plantes
aux vertus prétendument médicinales,
les fossiles, crânes et squelettes, les
vestiges de l’Antiquité …)
sont-ils réunis en fonction de leur
forme et de leur pouvoir analogique.
2. Histoires naturelles du monde
Entre 1760 et 1800 environ,
l’exploration
du Pacifique favorise la rencontre de mondes
en apparence antagonistes. De grandes expéditions
souvent constitué de savants, botanistes,
cartographes, peintres ou aquarellistes et
dirigées par de grands navigateurs :
Cook, Bougainville, La Pérouse, parmi
les plus illustres, sillonnent les Mers du
Sud. Le regard de ces voyageurs sur les moeurs
et les coutumes des « naturels » influencera
le goût des Européens. Les pièces
en or, en ivoire ou en plumes, par exemple,
seront particulièrement prisés
et recherchés.
La notion de « bon sauvage » concernant
les hommes, et celle de « curiosités
exotiques » propre aux œuvres réalisées
dans ces contrées lointaines se développe à l’aulne
des Lumières. En Occident, naît
le sentiment de l’étrange, du
singulier, de l’insolite, inséparable
d’une sorte de fascination mêlée
de crainte pour ces objets qui, en étant
détournés de leur destination
d’origine, gagnent en mystère.
3. Spécimens ou le grand
herbier du monde
La première moitié du XIXe siècle
est marquée par un intérêt
grandissant pour les sciences naturelles. La
flore, la faune, de même que les « productions
matérielles » des populations
autochtones d’Amérique ou d’Océanie,
sont classifiées, répertoriées,
cataloguées suivant leur provenance
et leur usage, et commencent à prendre
place dans les premiers musées européens.
Cette collecte élargie due à un
approfondissement des connaissances n’exclut
pas une vision déformée ou transposée,
souvent pittoresque et idéalisée
des pays et des hommes rencontrés. L’artiste
voyageur répond par l’imaginaire
aux visées méthodologiques des
savants. Les témoignages de cette époque
oscillent ainsi souvent entre réalisme
documentaire et cliché exotique ouvert
sur le merveilleux.
4. Science des peuples, l’invention
de l’humanité
Bien que l’esclavage ait été aboli
en France en 1848, le regard porté sur
l’Autre, à partir des années
1850, ne s’est pas ennobli. Loin s’en
faut. L’anthropométrie ou les
théories évolutionnistes, établissant
une hiérarchie entre races inférieures
appelées à disparaître
et races supérieures, vont dans le sens
du colonialisme et d’un impérialisme
qui se cache derrière l’idée
de civilisation.
Les musées d’ethnographie, parallèlement,
voient le jour et s’enrichissent grâce à des
missions à l’étranger de
plus en plus fréquentes. A cet égard,
les trophées d’armes largement
représentées, et les premières
prises de vue photographiques illustrent bien
la notion de capture, florissante en cette
fin de XIXe siècle. Au contraire, l’exposition
de fétiches ou de « grossières
idoles » dénoncent la barbarie
des « indigènes », qualifiés
régulièrement de sauvages.
Il faut attendre le début du XXe siècle
pour que d’autres regards se posent sur
les objets dits primitifs et les hommes qui
les ont créées.
5. Mutation esthétique
La reconnaissance se fait avant
tout au début
du XXe siècle par les poètes,
collectionneurs et artistes cubistes, expressionnistes,
fauvistes, surréalistes.
Cette prise de conscience d’un panthéon
de l’art universel, qui englobe toutes
les cultures, passe par la redéfinition
des termes jusqu’alors employés.
Les mots « sauvage », « nègre » ou « primitif » perdent
leur connotation péjorative et sont
associés à la notion d’« œuvre
d’art » qui n’avait pas vraiment
droit de cité. « Cannibale », « magie », « fétichisme » sont
réutilisés également en
réaction contre des codes bourgeois
et à un académisme du goût.
Tandis que l’exposition coloniale de
1931 laisse à penser, pourtant, que
les préjugés raciaux sont toujours
tenaces, une réflexion de plus en plus
pointue s’est amorcée sur l’identité de
l’objet, sa fonction, son mode de création,
même s’il est encore question de
styles, de groupes ethniques et d’anonymat
de l’artiste. Les critères esthétiques
n’en sont pas moins éclectiques,
inégaux et dépendent beaucoup
des modes qui sont lancées et suivies...
En 1947, André Malraux construit son « Musée
imaginaire », « immense éventail
des formes inventées » dans lequel
les arts primitifs rejoignent les arts sacrés
des grandes civilisations. Depuis, quelques
manifestations importantes dont l’entrée
des « arts premiers » au Louvre
confirment la valorisation de sociétés
trop souvent méconnues et cette noblesse
du regard qui a fini par s’imposer au
fil du temps.
Une place importante est réservée à la
photographie dans l’exposition.
Issus des principales collections
ethnographiques françaises, souvent inédits,
les portraits et paysages qui y sont montrés,
témoignent d’une certaine conception
de l’exotisme propre au XIXe siècle.
Au siècle suivant, la photographie,
elle aussi, change de statut, passant du stade
de simple document au rang d’œuvre
d’art.
Commissaire
d’exposition : Yves LE FUR
Direction de projet : Hélène
CERUTTI
Architectes : Stéphane MAUPIN, Nicolas
HUGON
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