Regards
de photographes africains
La Bibliothèque nationale de France accueille une exposition qui fait
suite à l'édition 2005 des Rencontres africaines de la photographie
de Bamako. L'occasion de découvrir les regards de photographes du continent
africain sur le monde qui les entoure : un monde autre, à plus d'un titre.
L'exposition présentée sur le site François- Mitterrand
rassemble une sélection de photographies d'artistes africains présentées
lors de la 6e édition des Rencontres africaines de la photographie au
Mali. Mise en œuvre par Culturesfrance, opérateur culturel de l'aide
publique française, en partenariat avec le ministère de la Culture
malien, cette manifestation se propose de faire connaître et de valoriser
le travail des meilleurs photographes africains, mais aussi de stimuler la création
sur tout le continent.
L'exposition réunit les travaux de quinze photographes originaires de
neuf pays d'Afrique et de l'océan Indien, représentatifs de la
création contemporaine dans ces régions. "Un autre monde" est
le thème des Rencontres 2005 de Bamako.
Pour un regard occidental, c'est peut-être d'abord le monde, ou plutôt
les mondes de l'Afrique, que les photographes africains dévoilent dans
sa réalité physique, mais surtout humaine, sociale, et dans sa
complexité, remettant en question et interrogeant nos représentations.
Les portraits de jeunes, de vieillards, de femmes, de couples, de malades mentaux
dessinent les visages d'une Afrique vue par des artistes qui en sont les habitants
ordinaires et qui proposent une autre lecture de la réalité, à travers
un regard décalé et personnel. "L'autre monde n'est pas nécessairement
loin de nous, écrit Simon Njami, commissaire de l'exposition, il peut
se cacher dans des détails auxquels d'autres yeux que celui du photographe
ne prêtent aucune attention. Rechercher l'autre monde, c'est nous contraindre à nous
repenser nous-mêmes. C'est remettre en question les idées reçues
que nous portons sur nous-mêmes et celles que le monde porte sur nous.
C'est repenser le passé à la lumière du présent,
mais c'est également se projeter vers l'avenir, en s'ouvrant à d'autres
possibles."
"Il en va de la réalité comme
de la vérité. Elle n'existe pas"
D'autres images saisissent la vie urbaine
ou le monde du travail ; elles dénoncent,
souvent avec force, la misère, l'abandon,
la solitude, comme celles du métro
du Caire photographié par Rana el-Nemr
(Égypte). On pourra voir quatre clichés
de Malik Nejmi (Maroc), récemment
exposé aux Rencontres de la photographie à Arles.
Mikhael Subotzky, né en 1981 au Cap
(Afrique du Sud), montre, lui, une série
de photographies du pénitencier de
Pollsmor, où fut enfermé Nelson
Mandela. Ces images,
qui portent témoignage sur le système
carcéral d'Afrique du Sud, sont aussi
le fruit de l'engagement de l'artiste qui
anima pendant trois ans des ateliers de photographie à l'usage
des détenus. Les clichés des
prisonniers furent montrés avec les
siens lors d'une exposition ouverte au public
au cœur de la prison de haute sécurité lors
du Freedomday en avril 2005.
Fatoumata Diabaté (Mali)* explore
la vie quotidienne des Touaregs dans une
série intitulée "Touaregs
en gestes et en mouvements", dont les
cadrages inusités surprennent et livrent
une vision très particulière,
où le regard ethnographique se conjugue à la
sensibilité et à l'émotion.
Mais l'altérité ne se réduit
pas à la figure de l'étranger.
Ce monde autre peut être un monde parallèle,
un monde de l'au-delà du miroir, tel
ce Pays des Merveilles qu'Alice découvre
au fond de son jardin, et où les éléments
de la réalité ordinaire sont
transfigurés par l'imaginaire. Ainsi
en est-il des photographies de Helga Kohl
(Namibie) dans lesquelles des dunes de sable
envahissent les pièces de maisons
improbables, ou encore celles de Lien Botha,
où des silhouettes dessinées
se superposent aux images photographiques,
induisant une double lecture.
"
La force du photographe, écrit encore
Simon Njami, réside dans le fait que,
tout en nous contraignant à regarder
la réalité avec des yeux neufs, à changer
de points de vue et de perspectives pour éviter
de tomber dans le piège de la réalité commune,
il ne tente jamais de nous faire croire en
l'absolue objectivité de sa narration.
Il ne cherche à nous vendre aucune “réalité réelle”,
car il est conscient qu'il en va de celle-ci
comme de la vérité. Elle n'existe
pas."
Sylvie Lisiecki
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