DES HOMMES SANS HISTOIRE
?
«
Histoire et spoliation des biens culturels à travers
les œuvres d’artistes contemporains»
Le MUSEE DES ARTS DERNIERS
présente
du 29 juin au 31 juillet 2006 «Des hommes
sans histoire ?» une exposition faisant
dialoguer artistes contemporains africains
et européens autour du thème
de la spoliation des biens culturels.
Des créations inédites de 18
plasticiens issus de la scène artistique
internationale seront présentées à cette
occasion. Les oeuvres feront écho au
vide laissé par les objets dérobés à partir
de la période coloniale et relevant
des patrimoines nationaux.
Le vide provoqué par
cette disparition est le fil rouge de l'exposition.
Après la shoah et les génocides
du XXe siècle, le vide a occupé une
grande place dans l'art contemporain. Comment
représenter, comment parler d'une impensable
disparition ? De Rothko à Stella, de
Perec à Boltanski, l'absence est au
coeur de la création.
Absence des personnes mais aussi absence des
objets.
Les guerres coloniales, puis les pillages contemporains
qui les ont suivis ont vu la disparition massive
du patrimoine ancien de plusieurs continents,
en premier lieu, l'Afrique.
Ces vols, hier comme aujourd'hui, ont contribué à entretenir
le mythe d'une Afrique sans Histoire, chaque
objet volé devenant muet sur la civilisation
qui l'a engendré.
«L'idée du brigandage colonial,
cette idée qui date du XIXè siècle,
est de celles qui n'ont pas fait leur chemin.
On s'est servi de l'argent qu'on avait en trop
pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires,
des pelles, des pioches, grâce auxquels
il y a enfin là-bas de quoi travailler
pour un salaire et cet argent, on le représente
volontiers comme un don fait aux indigènes.
Il est donc naturel, prétend-t-on, que
le travail de ces millions de nouveaux esclaves
nous ait donné les monceaux d'or qui
sont en réserve dans les caves de la
Banque de France (…) La présence
sur l'estrade inaugurale de l'Exposition coloniale
du président de la République,
de l'empereur d'Annan, du cardinal - archevêque
de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards,
en face du Pavillon des missionnaires, de ceux
de Citroën et Renault, exprime clairement
la complicité de la bourgeoisie tout
entière dans la naissance d'un concept
nouveau et particulièrement intolérable
: la «Grande France». C'est pour
implanter ce concept - escroquerie que l'on
a bâti les pavillons de l'Exposition
de Vincennes. Il s'agit de donner aux citoyens
de la métropole la conscience de propriétaires
qu'il leur faudra pour entendre sans broncher
l'écho de fusillades lointaines» In
Ne visitez pas l'Exposition coloniale (1931),
appel collectif des surréalistes, dont
André Breton, Paul Eluard, Benjamin
Péret, René Char, et Yves Tanguy.
(Tract cité par Philippe Baqué dans «Un
nouvel or noir», ed. Paris Méditerranée,
1999)
A la veille de l'inauguration
de grands projets qui passeront par pertes
et profits le contexte
dans lequel les objets dits «primitifs» ont été pillés,
des événements violents seront
mis sous silence : la conquête, l'expropriation,
la conscription obligatoire ou le travail forcé,
autre nom de l'esclavage.
Aujourd'hui, le trafic des œuvres d'art
dits «primitifs» est, d'après
Interpol et Scotland Yard, le second trafic
par son importance après celui de la
drogue.
Ce trafic et le marché des objets d'art « premiers » qui
lui est lié pourraient servir d'illustration
aux thèses économiques les plus
libérales, et reproduit les inégalités
de la planète, comme un condensé des
défauts du modèle «mondialisé»
Mémoire et culture ne font qu'un :
les ruines sur lesquelles nous bâtissons
notre présent et projetons notre avenir
sont composées des cendres d'un passé que
nous n'avons pas vécu. La réalité de
ce passé est à dénicher
dans quelques traces, certains objets, des
vestiges. Ces traces ont de la force. Du fait
de leur capacité d'évocation,
elles peuvent servir de relais à la
mémoire défaillante, or celle-ci
est parsemée de blancs.
Le Musée des Arts Derniers propose
alors à des artistes contemporains de
soupeser à leur manière, diverses
problématiques liées à ces
objets dérobés, aux vides générés
ou à la mémoire à recouvrer.
Des regards qui passent comme autant de tentatives
de recréer les chaînons manquants
de la mémoire défaillante. L'idée
est que l'exposition reconstitue une mémoire
qui, pour ne pas être identique à la
mémoire lésée, n'en sera
pas moins opérante puisqu'elle la réactualisera à sa
mesure.
Comment appréhender les conséquences
actuelles de ce drame historique de manière
constructive et sensible ? Si des procédures
de restitution d'Etat à Etat sont en
cours, la restitution totale des objets pillés
paraît utopique, voire impossible.
C'est pourquoi les artistes de l'exposition «Des
hommes sans histoire» ont choisi le terrain
symbolique, celui de l'Art, pour évoquer
cette absence.
«Pour devenir une marchandise, passer
de l'état d'un objet fonctionnel à celui
d'un objet de plaisir ou de déplaisir,
l'objet d'art africain doit d'abord mourir» Roger
Somé (Art africain et Esthétique
occidentale, 1998)
En quoi l'histoire de ces objets
nous éclaire-t-elle
quant aux relations actuelles liant les sociétés
occidentales à leurs anciennes colonies
? Esclavage et conquête coloniale sont
remis à l'ordre du jour pour instruire
de façon symbolique le procès
de la colonisation. Quelles traces ces événements
ont-ils laissé dans les imaginaires?
C'est à cette réflexion que
sont conviés les artistes de l'exposition «Des
hommes sans histoire» Car tous poursuivent
un même but : travailler selon leur histoire
et leur sensibilité à l'élaboration
d'une mémoire collective qui transformera
les mémoires brisées de ce XXIe
siècle balbutiant en une mémoire
kaléidoscopique enfin partagée.
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