Condensations
Frédéric Bruly Bouabré,
Connaissance du monde, 1977-2005
Frédéric Bruly Bouabré est
né vers 1923 à Zéprégühé (Côte-d’Ivoire). À cette époque-là en
Afrique, dit-il, quand un homme est né,
on se contente de savoir qu’il est
né, on ne cherche pas à compter
les jours, ni les mois, ni les années… De
sa propre initiative, il demande à son
oncle Lebato à être scolarisé et
intègre l’école française
en 1931 pour neuf années. Il manifeste
d’emblée une curiosité puissante,
une volonté profonde de s’instruire.
En 1940, il fait son service militaire
dans la Marine, jusqu’à la
fin des hostilités. Il exerce alors
divers métiers au Sénégal
et en Côte-d’Ivoire avant de
devenir fonctionnaire de l’administration
coloniale. C’est en Côte-d’Ivoire
que se trouve alors Théodore Monod
auquel F. B. Bouabré présentera
un peu plus tard l’Alphabet Ivoirien
dont il fut le « découvreur ».
Théodore Monod, qui « sut
confier l’utile et le radieux secret
de la science d’observation » à F.
B. Bouabré, publiera en 1958 dans « Notes
Africaines » une longue présentation
et étude sur cette découverte.
C’est en cherchant le moyen de fixer
et de transmettre le savoir de son peuple,
les Bétés, ainsi que celui
du monde tout entier, que F. B. Bouabré inventa
un alphabet de plus de 440 pictogrammes monosyllabiques
pour représenter les phonèmes.
En introduction à cet « Alphabet
Bété », il écrit
: « L’alphabet est l’incontestable
pilier du langage humain. Il est le creuset
où vit la mémoire de l’homme.
Il est un remède contre l’oubli,
redoutable facteur de l’ignorance.
Trouver sur la scène de la vie humaine
une écriture spécifiquement
africaine tel est mon désir. »
Outre
cette œuvre magistrale, F. B.
Bouabré regarde, écoute, lit
puis archive, à la façon d’un
entomologiste, le monde contemporain. Toutes
les traces du monde réel et spirituel
sont consignées dans des centaines
de petits dessins, réalisés
sur papier cartonné au format basique
de 10 x 15 cm, qu’il qualifie de « bricolés ».
Il utilise invariablement stylo-bille et
crayon de couleur, « le minimum de
moyens pour dire le maximum ».
L’origine des œuvres de F. B.
Bouabré est liée, selon lui, à un événement
particulier : « Depuis le 11 mars 1948,
depuis que le ciel s’ouvrit à mes
yeux et que les sept soleils colorés
décrivirent un cercle de beauté autour
de leur Mère-Soleil, je suis Cheik
Nadro “Celui qui n’oublie pas” ».
Depuis, F. B. Bouabré poursuit sans
répit une œuvre multiforme de
penseur, de prophète, de philosophe,
de moraliste, de poète, de conteur,
de dessinateur, d’artiste, de créateur,
habité d’une volonté farouche
de vouloir tout cataloguer, tout expliquer.
Il s’agit de nommer le monde, de l’inscrire,
d’en faire un recensement précis
pour maintenir l’Univers en ordre.
Réuni sous le titre « Connaissance
du monde », son œuvre infini est
organisé en séries, groupes,
sous-groupes et unités et constitue
une sorte de cosmogonie. Ces milliers de
dessins réalisés jour après
jour depuis les années 1950 reflètent
son immense curiosité, son enracinement
africain, son idéal encyclopédique.
F. B. Bouabré date et signe chacun
de ses « relevés », non
par une signature d’artiste, une revendication,
mais plutôt une griffe d’authenticité :
le cachet d’une bibliothèque.
Synthèse établie à partir
de plusieurs textes publiés par André Magnin.
Frédéric Bruly Bouabré est
né vers 1923 à Zéprégühé (Côte-d’Ivoire).