RESUME
L’expérience des sociétés
développées et celles qui émergent
aujourd’hui confirme le primat
de la culture sur le développement.
En effet, la culture, dans son acceptation
moderne est une
appréhension du monde contemporain dont
le savoir, la création et l’innovation
sont des
signes logiques du développement.
Par conséquent, la dualité culturelle
issue de la colonisation en Afrique a freiné le
déploiement des capacités créatrices
des populations privées de leurs atouts
culturels. Les
artistes congolais par leurs oeuvres d’art
contribuent à la réappropriation
de l’identité
culturelle étouffée pa rla colonisation
et l’hégémonie culturelle
occidentale.
Inventer le développement durable implique
la construction d’une nouvelle vision
culturelle.
En fait la maîtrise culturelle libère
les énergies créatrices du développement
par la voie de
l’art. L’art africain intègre
les trois éléments de l’univers
: la nature, l’homme et le divin. Il
vise non pas l’individu isolé,
mais l’homme intégré, profondément
solidaire du groupe et de
la communauté (L.S.Senghor 1969 ).
La peinture et la sculpture qui sont des
supports
culturels très symboliques et porteuses
des valeurs de travail sagesse, de dialogue
et
contribuent efficacement au développement.
L’Etat doit promouvoir une politique
culturelle et
artistique favorable au développement.
MOTS CLES : valeur sociale, esthétique
nègre, oeuvres d’art, inter culturel,
identité,
développement, Congo-Brazzaville
INTRODUCTION
Le
concept du développement est présenté dans
le rapport de Brundtland comme une
combinaison de trois éléments
suivants : l’économie, la solidarité et
l’écologie. On peut
observer que dans cette définition,
il est omis un élément de
grande importance, la culture. Un
développement qui n’a aucune base
culturelle activée par le feu de l’art
ne peut logiquement
être durable, quel qu’en soit
le contexte. Frederick Antal (1887-1954)) dans "la
peinture
florentine et son arrière plan social
au XlVème siècle et au début
du XVème siècle" défend
une
approche de l’histoire de l’art
qui est concomitante à l’histoire
sociale. Il considère les oeuvres
d’art comme des mises en forme des facteurs
socioéconomiques et culturels. A l’inverse,
certains auteurs associent l’oeuvre d’art
exclusivement comme un objet de divertissement
véhiculant une vision purement esthétique.
Cette approche est celle qui domine dans la
conception occidentale européenne de
l’art. L’approche négro
africaine combine les deux
aspects dans la conception artistique : l’esthétique
et l’utilité sociale (Check Anta
Diop,
1979). Malheureusement cette vision de l’art
et de la culture qui sous-tend le développement
africain a été étouffée
par la colonisation. Ainsi, la place et le
rôle des oeuvres d’art dans le
développement ne peuvent s’envisager
que dans cette approche, en tenant compte des
valeurs relatives à la modernité.
La valeur sociale semble t-il, est plus conforme à la
reconstruction des structures sociales communautaires.
Cette communication vise les objectifs suivants
: montrer le rôle et l’importance
de la
contribution de la culture dans le développement
(i) ; montrer l’impact des oeuvres d’art
sur le
développement (ii).
En nous basant sur les oeuvres d’art
réalisés au Congo (Brazzaville)
comme la peinture, la
sculpture principalement contenue dans l’art
contemporain qui certes, est le plus globalisant,
nous avons axé notre méthodologie
sur l’enquête et l’étude
des monographies, des catalogues
et des institutions publiques et privées
concernées. L’objectif est de
collecter les données et
informations sur les conditions de création
et de valorisation des artistes, le comportement
de
l’offre et la demande des biens artistiques.
La population ciblée comprenait les
peintres et
sculpteurs, les ateliers d’art, les galeries,
les musées implantées à Brazzaville
en effectuant
plusieurs passages. Les entretiens avec les
artistes dans leurs ateliers ainsi qu’avec
les
distributeurs dans les galeries ont permis
d’obtenir des éléments
d’appréciation des oeuvres
d’art et leur contribution au développement.
La démarche comprend trois points :
le premier montre l’importance de l’art
dans le
développement, le second aborde les
relations entre l’art et l’économie
du développement et
enfin le troisième propose une nouvelle
approche du développement africain fondé sur
l’art.
En conclusion, seront faites des recommandations
pour une politique culturelle et artistique
au
service du développement.
1) Importance des oeuvres d’art dans
le développement
a) L’importance de l’art dans le
développement humain
L’art est le ferment nécessaire
qui conduit vers une réelle transformation
de l’être humain et
de son développement, car parmi les
multiples voies de la connaissance, la voie
artistique est
la plus douce, et certainement la plus marquante
et la plus durable (Kandinsky, 1989).
L’homme est par construction le siège
de certains attributs, c’est à dire
des qualités présentes
comme la sagesse, l’amour, la bonté,
l’intelligence, la beauté, la
patience, etc. Les toiles de
Mbueki Chantal, artiste évoluant au
Congo, éveillent le sens de la beauté.
L’émergence de
ces qualités dans l’homme sollicite
un apport effectif de l’art qui est le
langage privilégié de
la conscience. Cette capacité de pénétrer
la conscience et de la transformer est la fonction
authentique de la création artistique.
L’oeuvre d’art a le pouvoir de
créer au sein de l’homme
une résonance intérieure pour
le déploiement de ses qualités
intrinsèques. Ainsi donc les
impératifs de perfection au niveau
du créateur supposent l’existence
des saines conditions
psychologiques. Dès lors, s’impose
une hygiène mentale due à la
noblesse du métier d’artiste
(Kandinsky, 1989).
Le public est séduit en peinture par
la force de l’ouvrage, les yeux découvrent
les beautés
singulières qui génèrent
la détente et l’instruction.
Un tableau réconcilie avec la vie, il
conduit à trouver un meilleur rapport
avec le monde, ou
simplement comme le dit Van Gogh, « un
bon tableau est quelque chose de consolant ».
De
même que les objets visibles pénètrent
l’esprit par les yeux qui sont les voies
par lesquelles la
conscience s’éveille à travers
les ouvrages de peinture. Le rôle primordial
du peintre est donc
d’ouvrir ces voies et de les rendre agréables
par la force de l’harmonie pour les besoins
hautement fonctionnels de la conscience et
du développement humain.
Le développement en terme d’efficacité est
surtout dû à l’élévation
qualitative des ressources
humaines qui amènent le travailleur à une
plus grande productivité. On peut élever
la qualité
du travail avec des loisirs féconds,
c’est-à-dire des expositions d’oeuvres
d’art ayant un
contenu éducatif important1. Les oeuvres
d’art abstrait développent la
réflexion et la créativité.
Celles de Michel Hengo, artiste brazzavillois,
par exemple la peinture « le destin » suscite
la
réflexion sur la vie et ses écueils.
Or le développement dans toutes ses
dimensions est nourri
par la réflexion.
b) Promouvoir l’identité culturelle
Un autre aspect qui montre l’importance
de l’art, est sa capacité à affirmer
l’identité culturelle
d’une nation ou d’une communauté.
L’ethnobiologie, une science relativement
récente, illustre l’influence
du culturel sur la
biologie à telle enseigne que "frustrer
des populations de leur culture revient à compromettre
leur équilibre vital et souvent leur
survie". Cette thèse a été confortée
par l’un des participants
au sommet mondial du développement durable
: "dans un pays, on considérait
que la
préservation de la culture et la création
d’une identité étaient
des éléments constitutifs du
sentiment de dignité humaine. Le sentiment
d’appartenance à une communauté est
important
si l’on veut conserver une société saine
et viable" (Colloque AUF, 2003).
Chaque pays a tout intérêt à promouvoir
son patrimoine authentique à travers
les
manifestations culturelles et populaires pour
stimuler profondément la conscience
collective,
et assurer la cohésion sociale. Les
décideurs veilleront à la création
d’un cadre culturel
intégré et intégrateur
sans omettre les apports extérieurs
en vue d’enrichir sa propre culture
tout en incorporant les éléments
nouveaux. Ensuite, ils doivent penser à créer
des
"
institutions pertinentes et efficaces qui soient à la
fois ancrées dans l’authenticité et
la
tradition et ouvertes à la modernité et
au changement", dans le but d’activer
la confiance en
soi de la nation et éviter la fragmentation
sociale entre les élites et la majorité démunie.
En
vérité, "si nous nous débattons
aujourd’hui dans l’impasse, c’est
peut être parce que nous
avons bafoué beaucoup de ces valeurs.
Pensons aux valeurs élémentaires,
mais essentielles de
solidarité, de justice, d’entraide,
etc." (M. Mpangu, 1980).
2) Lien entre art et économie dans le
développement au Congo
1
cf. Les oeuvres de David Makoumbou, artiste
peintre congolais, visent à éduquer
la voie de la sagesse. Exemple le tableau intitulé « Le
conseil des sages » qui exprime l’importance
de la palabre (dialogue) dans la résolution
des conflits.
Après
des considérations d’ordre général,
il nous faut maintenant nous appesantir sur
la réalité
congolaise, en particulier les éléments
qui font le pont entre l’art et l’économie.
a) Les oeuvres d’art et l’économie
D’une manière générale,
les normes de valorisation d’une création
artistique ne sont pas
exactement saisissables compte tenu des facteurs
quelquefois subjectifs et non quantifiables
qui interviennent dans le procès de
création. Le temps et les sources d’approvisionnement
de
l’artiste sont vraiment imprécis à cause
du caractère informel de son travail.
Encore que les
mécanismes de l’offre et de la
demande ne peuvent fonctionner correctement.
Mais l’on note
que les oeuvres d’art sont parfois vendues à des
prix très élevés ; c’est
le cas du "masque
d’initié lukungu" du 19ème
siècle en ivoire patine rouge sombre
de l’ethnie lega en
République Démocratique du Congo,
présenté à la Maison de
ventes aux enchères parisiennes
qui a coûté 2,4 millions d’euro,
un record mondial1. Un exemple aussi clair
sur la
considération économique de l’oeuvre
d’art suppose qu’elle soit sensée
contenir des valeurs
propres et stimulantes pour les collectionneurs
ou amateurs d’art.
En effet, l’ensemble des valeurs propres
associées aux oeuvres d’art sont
: la valeur sociale ou
utilitaire, la valeur esthétique, la
valeur cognitive et la valeur de prestige qui
est relative au
temps et à la renommée de l’artiste
(Herroro Prieto, 2002).
De ce qui précède, il en résulte
que la valeur économique ne peut être
que la résultante des
différentes valeurs envisagées
ci-dessus.
b) Les valeurs associées aux oeuvres
d’art congolais dans l’économie
En économie de la culture, les oeuvres
d’art font partie du patrimoine historique
d’une nation.
De par la spécificité de leur
offre et de leur demande dont l’évaluation
s’avère difficile, ces
types de biens spéciaux intègrent
le système économique et participent à la
production
nationale, à travers leurs ventes, les
frais touristiques et les taxes liées
aux métiers de la
culture et des arts, y compris les frais d’exportation.
Le patrimoine historique en tant que processus
d’identification sociale est un ensemble
complexe de produits et de dérivées
de la culture. Telle est la raison qui justifie
ici le choix
porté uniquement sur la peinture, la
sculpture. La place et le rôle des oeuvres
d’art dans le
développement africain dépendent
des conditions de création, de valorisation
et de l’impact
qu ‘elles représentent dans la
croissance et le bien être de la population.
La combinaison
dynamique de ces facteurs associés à d’autres
non moins importants tels que les stratégies
et
les réseaux a valeur d’induction
sur le développement sectoriel.
A la question du savoir comment les oeuvres
d’art peuvent participer au développement,
nous
avons sur la base d’une enquête
auprès de 16 artistes, 6 ateliers, 4
galeries et 1 musée.
1
cf. journal des arts n° 20
du 19 au 22 septembre 2005. :
Nous allons à présent examiner
les valeurs associées aux oeuvres d’art
des artistes enquêtés.
"Le conseil des sages", une oeuvre
de David Makoumbou possède une très
forte valeur
sociale. Il contient des symboles qui représentent
la justice, la paix, la sagesse etc.
Dans sa valeur cognitive, l’oeuvre, à travers
les peaux d’animaux sur lesquels les
hommes sont assis, l’ivoire des bracelets
et le tabac qui bourre les pipes représentés
sur la toile, symbolisent bien un système économique
traditionnel régi par la chasse,
la cueillette et l’agriculture. Tout
est présenté dans une figuration
qui donne une
é
motion singulière à même
de purifier l’âme des instincts
guerriers. Ici l’hypothèse de
la fonctionnalité de l’art se
démontre aisément, l’oeuvre
est susceptible de stimuler des
valeurs de dialogue, d’amour et de paix
qui sommeillent en nous. Avec "une écriture
symbolique de l’ordre social quand l’art
n’appartient plus au seul domaine du
beau,
l’artiste explore les valeurs d’une
civilisation. Dans un univers où l’homme
se sent
responsable de l’ordre du groupe, de
sa communauté, il tend par une attention
constante à ne pas en rompre l’harmonie
(…). Il exploite le symbolisme à fond,
se sert
du nombre, des personnages et des éléments
physiques tels que le balai, le bâton,
le
pagne etc. Tous deviennent des supports explicatifs
des valeurs (sagesse, justice,
solidarité, convivialité) qui
soutiennent une tradition encore riche et forte" (L.Kouéna.
Mabika, 2004). Ce tableau valait 3.000. 000
de F CFA.
Le "sous bois" du même auteur
dont l’histoire est simple mais significative,
se résume
en une traversée de la rivière
avec un pont localement appelé "moukokodi".
Cette
peinture a frappé une des grandes personnalités
politiques du pays de par sa grande
valeur sociale qui représente le commerce
dans la vie communautaire, une vision de
l’intégration économique
en Afrique. Une oeuvre de style moderne, sans
trop de détails
avec un coucher de soleil à la limite
du réel. Elle est travaillée
techniquement au
couteau, huile sur toile. L’oeuvre a
coûté 1.000.000 de F CFA achetée
par son
admirateur.
Jean Bosco Bissala est un artiste qui travaille
sur l’art "luba" de la République
Démocratique du Congo. Sa paire de "hérons" est
une sculpture en cuivre. Elle
explique la civilisation luba qui considère
la femme comme une chose, l’homme
règne en dictateur. Ainsi les deux "hérons" avec
les têtes inclinées symbolisent
un
hymne à l’humilité, cette
valeur qui défie l’orgueil et
incite à la modestie ; elle valait
200.000 F CFA.
"La femme arc-en-ciel", un grand
tableau de Balonga Badoudy qui symbolise la
sensualité et la force de l’arc-en-ciel
a été vendu 1.000.000 de F CFA
par l’association
New Maa à un touriste. En fait, l’arc-en-ciel
(lukongolo) incarne une valeur sociale
très forte dans l’aire culturelle
Kongo, il est symbole de protection contre
toute sorte
de maux et calamités sociales et l’espoir.
"La femme pygmée à la
chasse" de Mbueki Chantal avec une sagaie
en main
symbolise le travail de la femme et son dynamisme.
C’est la valeur sociale de l’oeuvre.
Elle valait 300.000 F CFA présentée
lors de l’exposition du 125 ème
centenaire de
Brazzaville en septembre 2005.
"le masque Nandé" qui est
une ethnie de la R D C. Il symbolise la tristesse,
une
é
motion qui par identification, peut aider les
autres à évacuer leur propre
tristesse,
c’est sa valeur sociale. Présenté à la
Mairie de Brazzaville, il valait 200.000 F
CFA.
"Dialogue des mamans" de Lydie
Kouboukoulou, symbolise la consultation des
esprits
qui est courante chez les africains, c’est
ce qui caractérise la spiritualité négroafricaine.
Une valeur identitaire très forte. Exposée à la
Mairie de Brazzaville, l’oeuvre
valait 600.000 F FCA.
"Solitude" de Trigo Piula est
un hymne à l’identité de
l’ethnie Vili. Il s’agit de mettre
en valeur la "Tchikumbi1" qui représente
la pureté caractérisée
par la transition d’une
jeune fille de l’adolescence à la
maturité avec tout le complexe éducationnel
que cette
période représente. Elle valait
700.000 F CFA.
"La grosse femme et un poisson" de
Marcel Gotène sur fond noir symbolise
le
caractère doux de la femme africaine.
Elle valait 650.000 F CFA. L’artiste
dans sa
démarche fait oeuvre d’hermétisme2.
"L’affection maternelle" d’Aurélie
Diansayi contient une grande charge émotive,
avec
les mouvements authentiques des personnages3
.Elle valait 350.000 F CFA.
"Cuisson d’une sauce" de
Francis Tondo Ngoma (N. Bissek, 1995) qui montre
plusieurs femmes en train de faire la cuisine
symbolise la convivialité et l’entraide.
Une réussite totale sur les postures
africaines. La femme travailleuse est mise
en
valeur. Elle valait 500.000 F. CFA.
"La pileuse" une sculpture de Rhode
Makoumbou, très symbolique, elle est
totalement
africaine. Ses oeuvres ont une valeur identitaire
très remarquable, et devraient
normalement être collectionnées
pour les musées, car ses thèmes
ressuscitent les
métiers du passé. Les touristes
aiment acheter ses oeuvres. Elle valait 800.000
F CFA.
"Le destin" de Michel Hengo, une
peinture abstraite avec une main et un pied
comme
symboles forts, ces deux éléments
résument toute la vie humaine. Avec
des pans de
tissus collés aux formes irrégulières,
parfois cousus avec des couleurs représentant
les
é
checs, les réussites, les incertitudes,
les joies et les mélancolies. Elle suscite
L’émotion et la réflexion.
Elle valait 500.000 F CFA.
"Le malafoutier" ou « récolteur
de vin » de Rhode Makoumbou. Le vin de
palme
participe à la vie communautaire en
Afrique (les veillées, les mariages,
les causeries,
les traitements spirituels et traditionnels
etc.), et le palmier en lui-même règle
plusieurs questions socioéconomiques
et culturelles. Exposé à Bruxelles
dans la
galerie de Marc Dengis, l’oeuvre valait
7.000.000 F CFA.
En quoi, ces valeurs sociales peuvent-elles
contribuer au développement africain
?
Leur contribution peut être identifiée à plusieurs
niveaux :
Sur le plan fonctionnel, ces oeuvres contribuent à éduquer
les générations actuelles sur
les
traditions, us et coutumes de la société passée.
En faisant le lien avec le passé, elles
montrent
les sources d’où proviennent les
hommes et mettent en évidence le caractère
historique des
faits sociaux. Ainsi, il est possible à partir
de ces oeuvres de mieux comprendre le présent
et
mieux prévoir l’avenir. Le développement
social est assurément un trait d’union
entre les
différentes phases de l’histoire
de la société à savoir
le passé, le présent et le futur.
Ces
oeuvres en véhiculant les grandes valeurs
morales comme le travail, la dignité,
la sagesse, la
paix, le dialogue, la solidarité, le
courage, etc. contribuent à perpétrer
des valeurs qui sont
fondamentales pour la cohésion et le
développement social et qui sont aujourd’hui
mises sen
péril par la société capitaliste
et la mondialisation.
Si nous prenons une oeuvre comme « la
femme arc-en-ciel » de Balonga Badoudy
qui signifie
le « lukongolo » (arc-en-ciel en
langue Kongo) et qui symbolise la protection
contre toutes
sortes de maux et calamités sociales,
le peintre montre dans une certaine mesure
la confiance
en soi, l’espoir car, l’apparition
de l’arc-en-ciel au Congo est perçue
comme un signe d’espoir
face à une éventuelle tempête
ou un ouragan dévastateur. L’africain
a énormément besoin de
1
cf. Trigo Piula 2003, ed. mokand’art,,
Brazzaville.
2 cf. M. Gotène, 2003, ed. mokand’art,,
Brazzaville.
3 cf. A. Diansayi, 2003, ed. mokand’art,,
Brazzaville.
croire en ses capacités à transformer
la société et à la conduire
vers le développement.
L’histoire tragique liée à l’esclavage
et à la colonisation ainsi que qu’aux événements
dramatiques qui se déroulent aujourd’hui
sur le continent (famines, guerres, épidémies,
barbarie politique, injonctions intempestives
de puissances étrangères, pauvreté,
etc.) tendent
à
inciter l’homme africain au désespoir,
au découragement et à croire
que son salut pourrait
provenir de l’extérieur, etc.
Or, sans confiance en soi et espoir en l’avenir,
il ne saurait y avoir
d’hommes capables de réaliser
le progrès et le développement.
C’est ce que l’artiste a compris
et qu’il s’efforce de transmettre
au public.
L’identité culturelle est aussi
un autre élément qui favorise
le développement et que les
oeuvres d’art tendent à mettre
en évidence. Chaque peuple possède
sa propre identité
culturelle qui s’exprime à travers
ses comportements alimentaires, vestimentaires,
linguistiques. Cette identité s’exprime
aussi à travers les relations sociales
(mariage,
naissance, obsèques, danses, religion, échanges,
etc.). Les oeuvres d’art traduisent de
façon
é
difiante cette culture. Si celle-ci est étouffée,
la société perd ses repères
et son identité ainsi
que sa vitalité et son dynamisme. Dans
ces conditions, le développement est
freiné Ainsi, les
oeuvres d’art contribuent par les images
qu’elles nous renvoient à nous
réapproprier notre
culture, à s’identifier à elle
et à la défendre comme une source
d’originalité et de créativité.
L’imitation aveugle est un mal qui ronge
l’africain depuis plusieurs décennies.
Nul doute que
cela l’empêche de comprendre son
environnement propre, ses potentialités
et de contribuer au
développement de l’humanité.
Sur le plan de l’esthétique, l’art
africain a toujours été au service
d’une cause sociale comme
il doit le rester. Ainsi, l’artiste africain
a toujours atteint le beau, l’esthétique, à travers
l’utile
(Cheick Anta Diop, 1979). L’art en contribuant à valoriser
l’esthétique africaine dans ce
qu’elle a de spécifique (cas de
Trigo Puila avec ses peintures sur la « Tchikumbi »)
montre
que la beauté africaine est d’égale
valeur que l’esthétique dans les
autres civilisations. Cela
renforce la confiance en soi et contribue à favoriser
le développement.
c) Le tourisme et le marché de l’art
dans le développement
De cette enquête, il ressort que le marché de
l’art au Congo est très florissant
au point où
certains artistes avaient refusé personnellement
d’intégrer les structures de l’Etat1.
Ce marché
s’est effondré à partir
des crises sociopolitiques et des guerres successives
que le pays a
connues. Ce qui l’a rendu de moins en
moins fréquentable par les touristes
qui constituent la
demande potentielle des oeuvres d’art
congolais. Timidement, il est en train de se
refaire.
D’ailleurs, à Brazzaville, deux
galeries viennent d’ouvrir les portes
(Ngalifourou et Beaux
Arts) au marché du plateau, à coté de
la galerie « An’case » qui
existe il y a trois ans environ,
sans compter l’ancien marché des
oeuvres d’art tenu par les étrangers.
Ce dernier est le plus
fréquenté de tous par les collectionneurs
ou amateurs d’art.
On note également l’entrée
considérable des jeunes dans le domaine
de l’art. Malgré les
aléas du métier, les sorties
sont rares. Certains artistes, notamment les
plus créatifs, vivent
essentiellement de leur art, en réalisant
beaucoup de créations (portraits, illustrations,
cartes
postales). Ils déplorent la non existence
d’institutions spécialisées
capables de promouvoir les
créateurs afin de stimuler la consommation
et accroître la demande en oeuvres d’art.
Celle-ci
1 "il s’estreposé le problème
de l’intégration à la fonction
publique. Ensuite MOKOKO et moi, on a refusé,
la fonction publique c’était
60000 F CFA par mois, alors qu’en vendant
nos tableaux on pouvait avoir 200.000 F CFA
par tableau" (M. Hengo, 2003).
est essentiellement composée des touristes
dont la fréquence n’est plus régulière,
des
coopérants ou diplomates, des élites
et quelques particuliers qui veulent bien orner
leur
maison ou faire des cadeaux.
De temps en temps, l’Etat organise des
expositions en invitant les artistes à présenter
leur
dernière collection, mais de façon
sporadique, uniquement lors des évènements
nationaux.
La précarité des revenus dans
le secteur s’explique aussi par l’absence
d’une politique
culturelle et touristique à même
de rendre le pays visible et de plus en plus
fréquentable.
Alors que la connaissance du pays en dépend
pour attirer les investisseurs étrangers.
Au Congo, la classe des possédants a
des préférences plus orientées
vers les biens de luxe
comme les voitures, la plupart de personnes
de l’élite politique ne possèdent
presque pas de
collection d’oeuvres d’art. Ce
qui confirme la thèse de Furtado (2004)
selon laquelle "les pays
pauvres tendent à connaître, dans
les premières phases du processus du
développement, une
répartition inégale des revenus.
De ce fait, la demande des produits industriels
tend à se
concentrer sur les articles de luxe –automobile
par exemple (…), ce sont précisément
les
articles de luxes tels que les voitures, qui
donnent généralement lieu à importation
ou à
production intérieure par des firmes étrangères".
Si par contre, l’histoire de l’art
révèle que : "quelque soit
son origine, la collection suppose
une réserve des classes possédantes",
alors cette thèse peut donc être
nuancée, en associant
naturellement la possession d’une voiture
de luxe avec l’acquisition d’une
importante
collection d’oeuvres d’art ayant
une forte valeur sociale. Comme par un effet
de mode, il serait
logiquement inconcevable qu’un homme
fortuné et cultivé soit dépourvu
d’une bonne
collection d’oeuvres d’art de valeur.
Cette hypothèse aurait le sens d’une
redistribution des
revenus et d’une réduction des
inégalités sociales en faveur
d’un secteur qui par effet
d’entraînement comblerait la demande
d’autres biens (bois, peinture, tissus,
colle, etc.) au lieu
de créer un impôt qui rendrait
l’économie inefficace. L’activité touristique
et les expositions
d’oeuvres d’art sont des services
durables. L’école de peinture
de Poto-Poto a pendant
longtemps représenté un des sites
d’attraction des touristes au Congo.
Ainsi, grâce à l’activité
artistique, le secteur du tourisme a accru
ses recettes et contribué à la
croissance et au
développement économique. De
plus en plus, le marché de l’art
en Afrique contribue à
renforcer l’économie (cas de FESPACO
au Burkina faso, du MASA en Côte d’Ivoire,
etc.).
3) Nouvelle approche du développement
basé sur l’art
Le développement africain a pendant
la période des ajustements structurels
(1980-2000) mis
l’accent sur l’économie
et en particulier sur le marché. L’Etat
se devait de réduire le budget
destiné à l’éducation
et la culture. La politique des PAS s’est
avérée être un échec
car elle a
non seulement appauvri la culture, mais aussi
les ménages. Au lieu de connaître
la croissance
et le développement, les pays africains
ont connu la stagnation et le déclin.
Ainsi, une
nouvelle vision du développement s’impose.
Celle-ci doit combiner l’amélioration
de la
production et la promotion de la culture et
donc des oeuvres d’art selon une approche
solidaire, innovante et intégrative.
a) La solidarité sociale et artistique
au service du développement
En terme de développement, l’art étant
le langage naturel de la conscience, les pouvoirs
publics sont potentiellement investigateurs
des mouvements sociaux à travers les
créations
allant dans le sens d’un projet qui
viserait la transformation des mentalités
en douceur, dans la
mesure où l’art africain sert
la collectivité. Les artistes doivent
participer au développement
dans le cadre des actions de sensibilisation
contre les différents maux qui minent
la société
(sida, chômage, enfants de la rue, guerre,
drogue, etc.) en imaginant toutes les images
avec les
tons qu’il faut, ainsi que les formes
utiles et nécessaires à l’équité sociale,
afin que la
population soit éduquée et conscientisée.
Une telle solidarité permet aux groupes
sociaux
vulnérables de traduire cette sensibilité aux
générations montantes ainsi de
suite. Les créateurs
sont capables d’imaginer des beaux et
meilleurs scénarii en phase avec le
développement
africain, c’est véritablement
le monde du sensible et de la solidarité.
Le "Conseil des sages"
de David Makoumbou est une belle illustration
sur l’utilisation de la peinture comme
véhicule
du message de solidarité sociale (Kouéna,
2004).
La participation aux expériences communes
de création entre artistes et des populations
aux
expositions peut encourager des gens d’origines
différentes sur le plan national, social,
ethnique, religieux et linguistique à adopter
une même vision du monde qui est un préalable
au développement. Le développement étant
lui-même participation active et nécessaire
de
tous les groupes sociaux qui doivent fournir
des efforts solidaires et des sacrifices nécessaires
afin que les résultats souhaités
de la croissance soient équitablement
partagées.
b) Inventer le développement sur la
base d’une nouvelle vision culturelle
et artistique
L’Afrique doit forcément se bâtir
un idéal social et économique
en cherchant les voies
propres de sa réalisation.
Si les perspectives de développement
socioéconomique ne sont pas encore tout à fait
claires,
la faute en est à l’absence de
perspectives claires dans l’évolution
culturelle et artistique,
contrairement à la pensée de
V.B. Miramanou1 qui utilise le schéma
inverse. Sans une vision
culturelle authentique et innovante, il est
impossible de promouvoir le développement
é
conomique. L’exemple de Singapour, ville
Etat de l’Asie du sud-Est et de la Malaisie
qui se
sont développés dans la voie
capitaliste tout en défendant leur spécificité culturelle
illustre
bien le rôle primordial de la culture
dans le développement (CV.J. W. L. Wee,
2004)
Etant donné que l’art prend une
part essentielle dans la construction de notre
imaginaire
social, de notre profil d’existence et
d’émancipation, l’Afrique
doit inventer des nouvelles
structures sociales capables de secréter
des valeurs de bonté, de gaîté,
d’optimisme,
d’entraide et de solidarité associables à la
dynamique du développement. La peinture
de Trigo
Piula est très féconde dans l’expression
des valeurs authentiques (Kouéna, 2004).
Elle
replonge le congolais dans son identité culturelle
et sur cette base lui permet de mieux
connaître ses propres traditions et de
réfléchir de façon féconde à l’émancipation
sociale. Elle
combat une forme d’aliénation
profondément ancrée dans la conscience
de l’africain du fait
de la colonisation et de la domination de la
culture occidentale.
C’est l’art qui permettra peut être à l’Afrique
de retrouver la dimension culturelle,
é conomique, sociale et politique perdue.
Les oeuvres d’art qui ont un rapport
avec le glorieux passé africain doivent
avoir un effet
tonifiant dans cette redynamisation de la conception
africaine du développement, en tenant
compte de la particularité de ses créations
artistiques, scientifiques et technologiques.
1
cf. La culture africaine, symposium d’Alger,
21 Juillet-1er Août 1969, p. 320
En effet, plusieurs hypothèses nous
laissent supposer qu’après la
grande période coloniale,
dans l’inconscient collectif africain,
le développement a pris le sens d’un "acte
manqué".
Comme on peut le constater "la perte de
la souveraineté nationale et de la conscience
historique par suite de l’occupation étrangère
prolongée, engendre la stagnation et
même la
régression, la désagrégation
et le retour partiel à la barbarie" c’est
cet état dans lequel
demeure ce continent que Cheick Anta Diop,
l’auteur de "Civilisation ou barbarie" décrit
ici.
d) L’interculturel, un processus dynamique
de développement durable intégrée
Nous avons constaté que le triptyque économie,
solidarité et écologie paraît
très incomplet
pour concevoir un développement durable.
La relation entre les trois éléments
ne peut être
assurée que par la culture, ou l’inter
culturel en économie mondialisée.
On peut définir l’interculturel
comme "une démarche, un processus éco-socioculturel
et
dynamique qui vise à promouvoir l’harmonie
interethnique, en prenant conscience de nos
différentes cultures fortement ancrées
dans nos pratiques sociales, économiques
et
é
cologiques. Ce qui conduit au développement
d’une meilleure compréhension
mutuelle par
la mise en évidence des valeurs, attitudes,
croyances et pratiques dans le but de favoriser
des
é
changes de meilleures pratiques" (E. Esoh,
2003). Il signifie également le respect
dans le
rapport avec les autres cultures. Et chaque
culture doit habituellement détenir
un des joyaux
susceptibles d’éclairer l’humanité et
d’apporter sa thérapie aux maux
du monde. Le projet de
l’ONG NEW MAA2 est pratiquement un modèle
d’inter culturalité très
remarquable
susceptible d’impulser le développement
africain.
En développant le concept des itinérances
d’art bantou qui est un projet d’exposition
mobile
(Brazzaville - Pointe-Noire, Libreville – Yaoundé -
Douala ), l’ ONG « NEW MAA » a
initié le
Motaka," le nu au Congo" en mettant
en place un objet solidaire au bénéfice
exclusif de l’art,
c’est à dire le traitement du
beau par excellence."Ces itinérances
s’étaient métamorphosées
d’une certaine manière en lieu
d’accueil, curieux et enchanteur pour
les créateurs et les
rêveurs de tous les temps et de toutes
les géographies " (L. Pongault,
2003).
En rassemblant les créateurs d’oeuvres
de beauté, les amateurs d’art,
les collectionneurs, les
critiques d’art et les communicateurs,
dans le but de les amener à partager
leurs expériences
diverses, ce projet a contribué à développer
une nouvelle culture basée sur les échanges
et
l’enrichissement réciproques entre
plusieurs pays africains. Au cours de la première édition
d’exposition (2003) une oeuvre de Balonga
Badoudy " la femme arc-en-ciel" avait été vendue
à 1.000.000 de F. CFA.
L’occident en cherchant à uniformiser
le monde et à le rationaliser à son
image l’a rendu plus
malade encore. Car les difficultés actuelles
du continent africain ne sont que la conséquence
d’un mimétisme culturel à large
spectre. Dans la société traditionnelle
africaine, "l’art n’avait
pas la même signification que celle que
nous donnons, de nos jours, à l’art
moderne. A cette
é
poque, l’art constituait un support de
la religion. Il était de ce fait un
moyen privilégié par
lequel les initiés accédaient
aux réalités qu’ils étaient
seuls disposés à connaître.
Cela
explique l’esthétique particulière
donnée par les artistes aux masques
ou à la forme des
sculptures " (Ortolani 1983).
2 Muuntou Africa Art (MAA)
L’inter culturel est une interpellation
aux dimensions profondes de la culture. C’est
le résultat
d’un contexte écologique, économique,
sociale et technologique bien précis.
Tout projet de
développement pour être durable,
doit intégrer la dimension inter culturelle
en son sein.
CONCLUSION
En
somme, la réappropriation de son
passé culturel, actualisé et
purifié de toutes ses charges
négatives et involutives en parfaite
communion avec les autres cultures s’impose à l’Afrique.
Car, la valeur sociale d’une oeuvre d’art
qui est l’expression identitaire d’une
civilisation face
à
ses préoccupations majeures et mondiales
aujourd’hui, a une incidence directe
sur sa valeur
é conomique. Les recettes et revenus touristiques,
culturels et artistiques sans compter les
devises rapportées par le commerce de
la culture et des arts contribuent au développement.
Culturellement, l’Afrique possède
des ressources spirituelles et artistiques
insondables qu’il
faut dynamiser et moderniser pour que naisse "le
miracle africain » à l’instar
de celui
«
asiatique ».
Ainsi donc, en terme de développement,
nous formulons les propositions suivantes
:
·
La promotion du tourisme par les décideurs
congolais et les entrepreneurs privés, étant
donné que ce domaine constitue un service
durable et un grand facteur d’inter culturalité ;
·
L’organisation des métiers de
l’art qui sont géniteurs de paix
et de sensibilité humaine, et
notamment la mise en place d’une banque
de données permettant d étudier
l’évolution de
la demande et de l’emploi dans le
secteur ;
·
La création d’institutions spécialisées
(écoles, musées, galeries, centres
d’art etc.) pour
é
veiller le goût esthétique au
sein de la population, les musées doivent
devenir des unités
de production culturelle et artistique
au même
titre que les stades pour le sport. Il s’agit
donc de les promouvoir.
·
Favoriser la solidarité entre les créateurs
en organisant les expositions communes,
et
vulgariser le savoir et la connaissance
en matière d’art ;
·
Proposer des expositions à thème
pour des motifs sociaux que l’on pourrait évaluer
;
·
Créer des partenariats avec les galeries
et les musées étrangers,
afin de participer aux
expositions internationales pour la notoriété des
artistes et du pays ;
·
Procéder aux émulations pour
encourager les artistes, et participer à la
production des
catalogues et monographies des artistes, en
dehors des guides touristiques pour la
dynamique du secteur.
Ces propositions qui ne sont pas exhaustives
peuvent aider à asseoir une véritable
politique
culturelle et artistique au service du
développement.
L’Etat a un rôle décisif à jouer
parce
qu’il est le seul organe capable de concevoir
la stratégie de développement
en se fondant sur
l’équité et l’innovation
(J. C. Boungou Bazika, 2004)
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